Lucian MOCAN

Lucian MOCAN


L’écho des pensées

Dehors, l’air frais lui remit les idées en place. Pour la première fois, il se sentait un peu heureux. Malgré tous ses échecs, la chance semblait enfin lui sourire, et il avait l’impression d’avoir trouvé un certain équilibre. Pourtant, cet état restait fragile ; une seule chose pouvait tout faire basculer. Il recherchait ces instants de calme, en pleine nature, pour apaiser son esprit et mettre réellement de l’ordre dans ses pensées.

C’était un jour de mars lorsqu’il se promenait dans les rues de la ville. L’air était frais, le soleil se cachait derrière de lourds nuages sombres. Les arbres, presque nus, tendaient leurs branches aux oiseaux qui chantaient avec ferveur leurs mélodies de bonheur. Tom avançait d’un pas hésitant sur les trottoirs rouges de la rue. Ses yeux, d’un bleu profond, semblaient toujours en quête de quelque chose, tandis que ses cheveux courts, légèrement ondulés, lui donnaient un air à la fois doux et déterminé. Sous son petit nez, sa bouche aux contours précis pouvait esquisser un sourire discret mais charmant. Il répétait avec application :

— Bonjour, je m’appelle Tom Renault, je cherche du travail.

La couleur rouge du boulevard ravivait en lui de brefs souvenirs de son grand-père. Il possédait une photo où ce dernier posait fièrement à côté d’une élégante voiture aux roues blanches, précieusement conservée par son père dans son garage jusqu’à sa mort. Une voiture rouge éclatante. Son père lui avait raconté que son grand-père était un inventeur illustre. Cette image le fascinait, et ses pensées, absorbées par ses soucis, s’égaraient dans un futur lointain, revenaient plus près, puis le laissaient désespéré face au sens de sa vie. Ces questionnements angoissés le tourmentaient sans répit.

À dix-sept ans, il avait déjà une certaine expérience des réalités de la vie, de ses revers et des ses aspects les plus destructeurs. Il réfléchissait sans cesse, tentant de comprendre qui il était et ce qu’il voulait devenir, se demandant à qui il pouvait accorder sa confiance. Des questions lourdes, persistantes, qui l’inquiétaient profondément.

Soudain, il leva la tête. Son regard s’arrêta sur une enseigne : « Boulangerie ». Il réalisa qu’il n’avait rien mangé depuis la veille au soir. Cette promenade matinale s’était transformée en une véritable expédition intérieure, l’immergeant dans un monde qu’il avait lui-même construit, mais dont il ignorait encore les profondeurs. Il manquait d’argent et hâta le pas pour rentrer chez lui, où sa mère, Marie, s’inquiétait déjà de son absence prolongée.

Marie était une femme intelligente, marquée par tant d’épreuves qu’il était difficile de percer à jour ses pensées, habilement dissimulées derrière une force presque divine. Elle s’habillait simplement, mais son maintien et son attitude trahissaient une élégance naturelle et une éducation soignée. Elle pensait constamment à l’avenir de son fils. En arrivant à la maison, Tom apaisa sa mère avant de s’asseoir à table, où l’attendaient de la confiture de framboises, des croissants et un verre de jus d’orange. Il mangea de bon appétit, fit la vaisselle, puis se replongea dans ses pensées.

Il voulait comprendre comment il pourrait influencer le monde. Il pensait à son grand-père, cet innovateur qui avait trouvé sa voie. Ce qui lui manquait, à lui, c’était une vision claire : quels étaient les besoins des gens autour de lui ? Qu’avait-il envie d’accomplir pour se sentir pleinement satisfait ? Il redoutait l’échec. Une peur insidieuse, la plus dangereuse qui soit, celle qui paralyse et empêche d’avancer saisissait son âme. Il avait des opportunités, mais cette crainte l’empêchait d’agir avec confiance.

L’automne suivant, en septembre, il prit une décision : il passerait quelque temps dans le domaine de son grand-père pour se ressourcer l’esprit.

À la campagne, bercé par le silence rural, la vie s’écoulait à un rythme plus apaisé, avec une intensité différente de celle de la ville. Après deux heures de train, il descendit sur le quai d’une petite gare, encore éloignée du village. Dès qu’il posa le pied sur terre, un poids sembla se lever, comme s’il se laissait tomber dans les bras de l’espoir. Mais une lourdeur persistait, l’empêchant de se laisser emporter complètement.

Lorsqu’il pénétra dans l’ancien château de son grand-père Louis, il fut frappé par son architecture unique, à mi-chemin entre tradition et modernité. La pierre calcaire, parfaitement intégrée au paysage environnant, conférait au lieu une élégance intemporelle. Entouré de forêts giboyeuses, Tom ressentit immédiatement qu’il était au bon endroit pour réfléchir à son avenir.

Il avait la sensation que l’aura singulière de cette demeure lui insufflait une confiance nouvelle, et qu’il repartirait d’ici avec les réponses qu’il cherchait ou du moins avec une certitude plus tangible de ce qu’il était. Il s’installa dans une chambre aux murs gris délavés, où un grand lit poussiéreux l’attendait déjà. Cela ne le dérangea pas. Il était épuisé par le voyage et s’endormit rapidement.

Une semaine s’envola, et il suffit pour qu’un équilibre certain s’établisse dans son cœur.

Un matin, il se réveilla aux aurores et sortit pour respirer l’air pur des forêts et contempler le paysage, où la Seine serpentait doucement non loin du village. Ce n’est qu’un peu plus tard qu’il prit conscience du changement imperceptible qui s’était opéré en lui.

Il avait enfin une réponse.

Ses pensées semblaient désormais plus en ordre, et cela lui apportait un apaisement profond. Ému, il esquissa un sourire sincère. Dans un murmure calme, il se dit :

— Hmm… Vivre dans l’instant présent, c’est ça, non ? Comprendre qui je suis pour voir où je vais.